Amulettes musulmanes

La vérité sur les amulettes musulmanes

Les restes d’un paganisme anté-islamique

La Main de Fatma
La Main de Fatma

Les objets magiques sont les témoins les moins ambigus de la pratique ésotérique : leur matérialité réduit considérablement la subjectivité de l’observation. Ils suscitent un grand intérêt, comme en témoigne le nombre d’articles scientifiques, très courts le plus souvent, à ce sujet. Les talismans écrits étaient souvent présentés par les scientifiques dans des notes visant à déchiffrer le texte contenu ou à en analyser le matériau. De nombreux objets de l’aire persanophone ont pu être recueillis. De même, quelques rares études s’attachaient aux rapports entre l’extrême Orient et l’Islam au niveau de la magie, ce qui donna lieu, par exemple, à l’étude d’Antoine Cabaton (1863-1942) sur les amulettes lithographiées d’extrême Orient, à l’analyse d’un rouleau magique dérobé en 1902 à un chef pirate dans l’île de Sumatra ou à l’étude du révérend Samuel Stewart Stitt sur des talismans de magie astrale des Maldives rapportés par le zoologue et océanographe John Stanley Gardiner (1872-1946).De nombreux ethnologues relatèrent également l’emploi de Harz Tabrid Erçac (en arabe littéral : ḥirz tabrīd al-raṣṣāṣ), un talisman pour « refroidir les balles ». Ce type de talisman, que l’on ne trouve bien sûr pas dans les « grimoires » médiévaux, semble avoir connu un certain succès avec la généralisation de l’usage des armes à feu. Enfin, certains signalaient l’importance de l’« écrivain de prière professionnel », l’individu qui faisait commerce de l’écriture des talismans, et cherchaient à découvrir les recettes et comprendre le fonctionnement d’un tel commerce.Bien entendu, l’islam a hérité de nombreuses pratiques païennes de l’Arabie antéislamique. Des rituels magiques des antiques civilisations antérieures à la conquête arabe perdurèrent également sous des formes islamisées dans de nombreuses régions. Cependant, il convient d’interroger ce « paganisme » et cette « magie », car la lecture de ces anciennes études peut surprendre dans la mesure où l’on recherche plus que l’on constate les éléments païens. De nombreux rites ont une fonction avant tout sociale, et il est normal de les retrouver avant l’avènement de l’islam et d’en trouver une forme islamique par la suite. En ce sens, il n’y a pas une adaptation d’un rite païen à l’islam mais la continuité de rites sociaux.

Des collectionneurs privés

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L’époque coloniale voit aussi la constitution ne nombreuses collections privées ou à destination d’institutions officielles. Des personnes s’attachent ainsi à collecter des objets magiques. Le cas le plus célèbre pour le monde musulman est le médecin d’origine palestinienne au service de l’armée ottomane Tawfik Canaan (1882-1964). Ayant réuni une collection de plus de mille quatre cents amulettes et talismans, il procéda à la description complète de ses coupes talismaniques ainsi qu’à un inventaire systématique des éléments scripturaires et graphiques contenus dans les talismans. Sa lecture des inscriptions doit beaucoup aux œuvres d’al-Būnī et il cite abondamment le Šams al-maʿārif al-kubrā. Ses études s’inscrivent dans la perspective du « folklore » palestinien, et n’inclut donc aucune perspective historique.

Un autre médecin qui exerçait au Caire, recueillit de même de nombreux objets. C’est en Égypte que l’on recueillit le plus d’objets, dans lesquels on tentait de retrouver des éléments de l’Égypte pharaonique. En Tunisie, le docteur Ernest-Gustave Gobert (1879-1973) consacra un article à la « chguiga » (šaqīqa), une sorte de pendeloque en bois d’ephedra, commune en Tunisie et réputée prévenir et soigner la migraine. Ces deux médecins inscrivaient ces études d’amulettes dans l’ethnopharmacologie : insistance était faite sur les substances utilisées et leurs propriétés.

Des objets de la vie quotidienne

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Gainage d’un talisman par un cordonnier, Dakar, 2012

On peut également constater que de nombreux objets de la vie quotidienne deviennent des amulettes. De même, les symboles sont parfois interprétés de façon quelque peu surprenante, comme la main de Fatma qui serait pour le docteur Jean Herber la dérivation d’un symbole phallique. Il ajoute, pour se justifier, que la métamorphose de la « main phallique » en « main de Fatma » aurait été facilitée par des artisans ciseleurs ignares des symboles qu’ils reproduisaient. La faiblesse dans le raisonnement de l’époque vient du fait que l’on veuille systématiquement réduire les figures à des motifs simples. Devant cette multiplicité des types d’objets magiques et des approches servant à les analyser, il convient de bien définir les termes utilisés.

Les mots les plus fréquents pour désigner les objets magiques en français sont amulette et talisman. Ici encore, ils peuvent être équivoques, et l’usage a évolué avec le temps. Certains (Joseph Hammer) avaient émis l’hypothèse que le terme d’ « amulette » venait de l’arabe ḥamalāt, objets que l’on porte, et dans certains contextes précisément des amulettes magiques. Les attestations du terme en latin au deuxième siècle avant Jésus Christ contredisent bien sûr une telle hypothèse.

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Le terme d’amulette fut utilisé par certains savants pour embrasser l’ensemble des objets magiques. Distinction était faite entre les « amulettes naturelles » et les « amulettes artificielles », mais c’est tout. Les « amulettes naturelles » tirent leur pouvoir des propriétés supposées des matières utilisées. Au contraire, les « amulettes artificielles » tirent leur pouvoir d’un processus de fabrication. L’ « amulette artificielle » correspondrait grosso modo au talisman tel qu’il fut défini à partir de la seconde moitié du XXe siècle, alors que les premières restèrent des amulettes.

Jean Marquès-Rivière (1903-2000) dans son ouvrage Amulettes, talismans et pentacles dans les traditions orientales et occidentales proposait la définition suivante du talisman :

Le talisman est un objet « scientifique » ; il est sujet à des lois, à des correspondances, à une fabrication. Par cela même, il se spécialise ; il ne protège plus, comme le fétiche, contre tout ce qui est mauvais mais contre telle ou telle influence, dans tel ou tel cas. L’amulette défend simplement la hutte ; le talisman protègera soit contre les insectes, soit contre les sorciers, soit contre les mauvais génies, soit contre tel ou tel ennemi. Étant d’une technique plus évoluée, il se spécialise.

Les pentacles

Selon Jean Marquès-Rivière, un élément intervient alors dans le processus, le « pentacle » :

Le talisman touche en cela au pentacle, forme la plus évoluée du talisman, véritable « œuvre d’art » qu’a créée la science talismanique ou pentaculaire. L’Arabe qui écrit telle ou telle Sourâte du Coran pour se protéger dans son voyage, fabrique un talisman ; le docteur musulman qui part de la valeur numérique des lettres arabes pour construire des carrés magiques, qui les reproduit sur des substances en concordance astrologique, qui les sanctifie aux jours et heures planétaires favorables, fait un pentacle.

En réalité, le pentacle est un élément que l’on retrouve effectivement dans la magie islamique, où il est appelé « tableau » (ǧadwal) ou « sceau » (ḫātam). Cette distinction entre le pentacle et le talisman n’a toutefois pas été suivie par les chercheurs, qui ont préféré garder l’appellation de talisman pour tout objet ainsi construit.

Le talisman représente un stade évolué de la pratique magique en ce sens qu’il correspond à une élaboration consciente soumise à des règles.

chapelet fait à partir de dattes

En définitive on peut en rester à cette définition simple : l’amulette caractérise les objets magiques efficaces par les propriétés supposées de leurs substances. Le talisman est quant à lui soumis à un processus de fabrication codifié. L’étymologie erronée du terme amulette proposée par Joseph Hammer et la dérivation du terme talisman à partir de l’arabe ṭilasm ne manquent pas de souligner une fois de plus l’association de la magie à l'”Orient”dans les langues latines.

Le port d’amulettes et de talismans est-il autorisé par le Coran ?

Certains musulmans ont recours aux amulettes pour se protéger ou bien pour obtenir une promotion au travail ou encore gagner le cœur d’une jeune fille. Donc forcer le destin. D’autres en ont recours pour jeter un mauvais sort sur un ennemi. Est-ce que l’islam autorise le recours aux amulettes ?

Tout ce que le Prophète Mahomet a dit à propos des amulettes décourage le musulman à en porter. «Dieu ne va pas assister celui qui porte des gris-gris. Il va le laisser à ses idoles». Il est dit dans un hadith authentique que quiconque porte des amulettes s’adonne à l’associationnisme voire à la mécréance qui sont des pratiques prohibées par l’Islam. En plus, l’islam n’a jamais reconnu les écritures cabalistiques (khatims) utilisées par certains pour confectionner des amulettes. Aucun texte islamique ne fait allusion à celles-ci.

Il est dit dans le Coran : «si vous croyez fermement en Moi, ne M’associez à rien et cherchez refuge auprès de Moi. Car Je suis le seul Protecteur».

On avait demandé au compagnon de Mahomet, Ibn Ayib, si le port des amulettes était recommandé par la religion musulmane, il avait indiqué qu’il était permis à un croyant de les porter pour se protéger pour un moment bien déterminé, le temps qu’il apprenne et mémorise les versets de Coran qui lui serviront ensuite de seule protection. Mais beaucoup de musulmans n’apprennent pas par cœur le Coran. Leur est-il permis malgré tout de porter des amulettes ?

Cela varie en fonction des intentions des uns et des autres. Bien souvent en Afrique, le port des amulettes est pour forcer la main du destin pour trouver un travail, avoir de la chance ou séduire une jeune fille. Elle n’est pas de chercher une protection divine contre les mauvaises langues ou le mauvais œil. Au Sénégal par exemple, il y a des gens qui portent leurs gris-gris à vie. Ces pratiques vont à l’encontre des recommandations du Coran et peuvent conduire à perdre son statut de musulman.

Sources :
Cet article a été réalisé en s’appuyant sur la thèse La magie islamique et le corpus bunianum au Moyen Âge rédigée par Jean-Charles Coulon pour obtenir le grade de docteur de l’université de Paris IV, La Sorbonne, dans la discipline des études arabes et d’histoire médiévale.

L’article s’est également appuyé de la publication de l’islamologue Abdoul Aziz Barro que l’on peut retrouver à cette adresse.