La magie et le coran

Le Coran est-il un livre de magie ?

Condamnation à mort d'Al-Hallaj
Condamnation à mort d’Al-Hallaj

Le Coran présente le monde comme parfaitement normalisé. Sur terre, les animaux se prosternent devant Dieu. Dans le ciel, les anges se prosternent devant Dieu. Seul l’homme transgresse les règles établies par Dieu. Les chapitres du Coran se présentent soit comme des réquisitoires, soit comme des plaidoiries, en raison de la désobéissance de l’homme. Comment évolue la magie dans ce contexte ? La magie arabe possède-t-elle ses propres normes ou se soumet-elle aux lois dictées par les écrits saints ? Prenons en exemple le cas concret du mystique Akhbār al-Ḥallāǧ qui est un texte ancien relatif à la prédication et au supplice du mystique musulman al-Ḥosayn B. Manṣour al-Ḥallāj. Sans doute né en 857, mort crucifié le 26 mars 922 à Bagdad, al-Ḥallāj est un poète mystique Persan du courant soufisme… Il fut l’auteur d’une quantité importante d’écrits visant à renouer avec la pure tradition originelle islamique : celle du Coran et son essence verbale et écrite.

Situer la magie dans les écrits

Le cas Al-Ḥallāǧ

Condamné à mort, Al-Ḥallāǧ fut supplicié à Bagdad le 27 mars 922. Il fut faussement accusé d’avoir activement participé à la révolte des Zanj, mais sa condamnation est essentiellement dûe au fait qu’il ait publiquement proclamé « Je suis la Vérité  » (« Ana al haqq »), ce qui est perçu comme une hérésie, aussi bien dans les milieux sunnite que dans les milieux chiite, car seul Dieu est la vérité.

Al-Ḥallāǧ fut considéré par certains comme un musulman « orthodoxe ». Mais sachez qu’il n’existe pas d’ « orthodoxie » en islam. Il existe seulement des doctrines communes qui forment le noyau de l’islam et auxquelles tous les musulmans du monde entier adhèrent intégralement. Autour de ce noyau peuvent exister de multiples opinions secondaires qui ne sont pas toutes du même avis. Mais le Coran est très tolérant à ce sujet. Existe-t-il aussi un noyau de doctrines communes concernant la magie ?

Le Coran évoque la magie à plusieurs reprises

La magie est bien entendue évoquée dans le Coran qui ne met pas une seule fois en doute son efficacité. Le verset II,102 mentionne notamment l’action de deux anges, Hārūt et Mārūt, qui enseignèrent aux hommes comment séparer un couple par la magie. Cette dernière est donc présentée dans le Coran comme une science d’origine céleste, ou du moins astrale.

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Le Coran fait aussi allusion à la magie en indiquant que le Prophète fut victime d’un envoûtement. Il tomba malade et la fièvre le poussa au délire. Il imaginait avoir réalisé des choses qu’il n’avait jamais faites. Ce trouble de la lucidité était plutôt mal venu de la part d’un messager de Dieu. Il s’en est délivré avec l’aide d’un ange qui lui suggéra dans un rêve l’endroit où se trouvait l’objet qui était la source de son envoûtement. L’objet se trouvait au fond d’un puits et le Prophète put le récupérer et le briser, ce qui du même coup allait briser le charme.

Les anges et les Djinns

Selon la tradition islamique, il existe deux types d’êtres spirituels : ceux qui sont célestes, les anges, et ceux qui sont terrestres, les djinns. Les djinns ne peuvent pas atteindre le ciel. Ils ont une apparence presque humaine, sont mortels et sont sexués. Certains djinns peuvent être bons alors que d’autres sont mauvais. Certains hommes peuvent avoir recours aux services des djinns pour réaliser leurs desseins. La magie peut donc être terriblement efficace par ce biais et repose principalement sur la foi en l’existence des djinns.

Après l’établissement de l’empire musulman, toutes les croyances magiques des pays conquis se sont intégrées à la magie musulmane. Il existe donc deux grandes époques de la magie islamique. La première étape est empreinte des magies antiques, en particulier la magie Egyptienne. Il s’agit d’une magie qui se caractérise par le souhait de déchiffrer le fonctionnement de la nature. Elle perdurera jusqu’aux X° et XI° siècle. Cette magie est concrète car elle fait abondamment appel à des substances ainsi qu’à l’astrologie (également appelée magie des astres). La seconde étape est une magie beaucoup plus abstraite qui fait appel à la parole et aux incantations magiques. L’idée de base est que le monde fut créé par Dieu par sa simple parole divine. Il existe sur Terre un reste de cette parole de Dieu :  le Coran (verbe divin mis à disposition des hommes). L’étude du Coran permettrait donc aux humains d’acquérir la connaissance du langage divin et par la suite la sagesse universelle.

Les paroles magiques

Al-Būnī est l’auteur d’ouvrages sur les textes magiques. Dans cette magie, le fait de connaître les secrets de la langue coranique permet d’avoir le contrôle sur les esprits et les entités spirituelles. Prononcer les mots dans de bonnes conditions permet de rendre présentes des rūḥāniyya (entités spirituelles). Les entités invoquées peuvent être d’un niveau astral très élevé ou d’un niveau terrestre, il est même possible d’invoquer des entités maléfiques (šayṭān). Le terme de šayṭān désigne alors un serviteur d’Iblīs, l’ange qui a refusé de se prosterner devant Adam lors de sa création. L’invocation d’un šayṭān par le magicien n’est généralement pas effectuée dans un but charitable !

Le simple fait de prononcer une formule, une prière ou une invocation, entraîne l’effet d’être obéi par l’entité spirituelle. Avec les formules magiques basées sur le Coran, on peut pratiquer des exorcismes, guérir des malades, accomplir des miracles. Tout se fait au nom de Dieu, par le nom de Dieu. Il n’est même pas envisageable qu’un ange ou qu’un djinn refuse d’obéir.

La magie est-elle autorisée par le Coran ?

Les théologiens considèrent en général la magie comme une science inutile et suspecte. Quand l’homme se retrouvera devant Dieu il sera seul. Il n’aura plus de magie pour l’aider à le rendre plus présentable.

Selon le droit musulman, la magie est formellement condamnée dans deux cas seulement :
– si la magie conduit à un acte d’adoration d’un autre Dieu.
– si la magie aide à accomplir un acte immoral et répréhensible.

Le magicien lui-même n’avouera jamais pratiquer de la sorcellerie. Il se présentera comme le prolongement de la volonté de Dieu et avoir agit sous les ordres divins.

Nous pouvons donc nous interroger sur l’application de ces considérations au cas concret du mystique al-Ḥallāǧ.